Introduction : J’ai eu le plaisir d’interviewer Béatrice Navarro, secrétaire générale adjointe de la FFAAA et responsable de la Commission jeunes de la Fédération. Dans cette interview, j’interroge Béatrice sur la politique menée au niveau fédéral envers un public encore timide sur les tatamis : les jeunes. Qui sont-ils et quelles actions faciliteraient leur présence sur les tatamis ? C’est tout le sujet des thématiques abordées dans cette interview exclusive de Béatrice Navarro pour la FFAAA.
Peux-tu te présenter (parcours, rôle à la FFAAA et dans la commission jeunes) ?
Licenciée à la FFAAA depuis 1985, soit 38 ans de pratique (à part une année bébé) et presque autant d’engagement bénévole accompli à tous les niveaux : club, Codep 11, CID Languedoc- Roussillon, Ligue Occitanie, et instances dirigeantes de la Fédération (comité directeur, bureau fédéral, commissions) depuis plusieurs olympiades.
J’ai commencé l’aikido à Toulouse chez Franck Noël, et mon dernier Senseï à Carcassonne fut Mariano Aristin. Sur les pages de mon vieux passeport collector marron, figurent des tampons de stage avec pêle-mêle les noms de Tissier, Maillot, Tendron, Micheline Tissier, Catherine David, Irène Lecoq, Hélène Doué, Bachraty, Palmier, Mathevet, Mouza, Waltz, Muller, Gouttard, Roche, Seye, Gonzalez, Erb, Nadenicek, Nicolessi, Léon, Marcon, Nicolessi, Ethève, etc. mais aussi Bouchareu, Montserrat, Shewan, Allouis, Moine pour la FFAB… et les experts japonais en France tels Saotome, Ikeda ou souvenirs précieux du Japon avec Yoko Okamoto à Kyoto et à Tokyo avec le Doshu et Mitsuteru Ueshiba qui incarne l’avenir.
Délégation du Languedoc-Roussillon au Japon en mai 2016 : chez Yoko à Kyoto et à l’Aikikai
.
Et aussi près de vingt ans d’enseignement bénévole avec un BF (j’ai déjà un métier) en direction des jeunes, ce qui ne s’improvise pas et ne date pas d’hier… Avec des cours toutes les semaines en club à Carcassonne, des cours d’initiation pour les associations, des forums et démos, les Cadets de la Défense, des projets menés en milieu scolaire (par exemple sur la connexion et le respect, des cours d’aïkido en lien avec des cours de salsa d’un collègue d’EPS pour des lycéens de classes dites difficiles, qui attendaient le lundi matin avec sérénité et respectaient leur prof de Lettres enseignant plus facilement Molière et Voltaire), des animations pour des structures culturelles (telle une activité découverte de l’aikido aux écoles primaires en lien avec une expo muséale sur les samouraïs), et des animations de stages associées à la découverte du patrimoine, que je laisse volontiers à présent aux cadres techniques. En résumé, l’organisation ininterrompue d’événements pour les jeunes, à tous niveaux et dans des structures diverses.
Sortie culturelle pour jeunes aikidokas à l’expo Samouraïs du Musée des beaux-arts de Carcassonne, décembre 2018
Initiation aux Cadets de la Défense, avril 2015 & 2023
Le contact direct avec les jeunes, en club et de par mon métier de professeur de Lettres classiques (tout métier est respectable, celui d’enseigner l’est aussi, que ce soit l’aikido ou le latin où il faut capter les élèves) m’a certainement permis de garder un certain enthousiasme pour promouvoir et enseigner mes disciplines ; car les jeunes sont un public sincère et exigeant qu’on ne peut abuser : quand un cours leur plaît, ils le disent ; quand il faut rectifier et varier, il faut les écouter aussi et se montrer inventif en retour, car ils sont force de proposition toujours étonnante. Par exemple les jeunes apprécient la pratique des armes, les accessoires et activités ludiques pour aborder plus facilement les principes et leurs applications, ils apprécient le lexique japonais de base et la signification du nom des techniques, et quand je me suis arrêtée de compter jusqu’à dix, eux explorent les nombres jusqu’à … et les apprennent à leur tour avec fierté aux adultes. La plus grande satisfaction en club est d’ailleurs de les voir pratiquer avec plaisir (Toujours pratiquer dans la joie, selon le mot du Fondateur) et revenir d’une saison sur l’autre, de les voir monter vers le cours ados-adultes et de les solliciter comme assistants au cours enfants, où ils trouvent d’ailleurs les plus jeunes particulièrement pénibles (enfin, un autre mot) : mais ils apprennent à leur tour les vertus de la patience, de la pédagogie positive et de l’inventivité pour dérouler une technique ou bâtir un cours d’initiation à leurs parents ! Et là, c’est gagné, ils lorgnent vers les grades Dan et questionnent sur les diplômes pour enseigner, tout en naviguant entre stages jeunes et stages adultes. Ils se projettent et le futur est dans leurs projets, littéralement.
Cours spécial : les jeunes initient leurs parents aux ukemis
Quel plaisir aussi de voir des haut gradés avec leur propre passeport collector parcheminé où apparait une figure de minot maculée de café : sur la table d’accueil des stages, on en retrouve plus qu’on ne croit et là aussi ça fait tellement plaisir ! D’ailleurs, l’édition fédérale 2023 du Kagami Biraki a mis en valeur une nouvelle génération d’aikidokas 5e Dan sur examen particulièrement motivée et talentueuse ; ainsi sur les 25 promus et promues, les statistiques sont très éloquentes les concernant pour leurs débuts en aïkido : dix en effet (soit 40%) ont débuté l’aïkido entre 6 et 24 ans, dont la majorité enfants ou ados entre 6 et 17 ans; quatorze l’ont débuté entre 27 et 39 ans . Si les chemins de l’aïkido paraissent impénétrables et pleins de détours, en observant on y trouve bel et bien des jeunes, beaucoup de jeunes, qui grandissent et deviennent des adultes qui pratiquent, progressent et enseignent à leur tour . Bien sûr, au bout d’une saison , des jeunes , public labile dans toutes les disciplines sportives, partent explorer ailleurs, et tant mieux s’ils reviennent un jour dans un club d’Aïki : les jeunes contribuent à la vie des clubs et au dynamisme de la FFAAA , partie intégrante et part non négligeable de nos effectifs.
Quelles sont les origines et les missions de la Commission jeunes FFAAA ? Après une petite enquête, il faut d’abord rappeler que cette commission (dénommée enfants, juniors, puis jeunes) est née en ÎDF avant 1993, avec Serge Grissi, qui organisait des stages pour les enfants de 6 à 14 ans, animés par des techniciens tels Jean-Michel Mérit, Gilbert Maillot, Mariano Aristin et Arnaud Waltz. Après 1993, on trouve Éric Straub, puis Jacques Maigret, Josette Nickels, Arnaud Waltz ; en 1998 Alain Tisman lui donne une dimension fédérale, puis en 2000 lui succède Silva Tscharner, et en 2005 Dany Socirat instaure des stages de formation pour les adultes animés par Gilbert Maillot puis Christian Mouza ; c’est d’ailleurs avec eux que j’ai appris et découvert la pédagogie pour les jeunes, alors ciblés entre 6 et 14 ans. Je me souviens encore des stages pionniers à Saint-Étienne puis à Vichy où les contenus de pratique appliqués en club choquaient les anciens au prétexte qu’une approche ludique, ce n’est pas de l’aïkido ! Aujourd’hui, quand on assite à un dynamique stage jeunes dirigé par un expert japonais, certains devraient se recoiffer…Et les experts japonais sont attentifs à ce que proposent les experts de la FFAAA pour les jeunes.
Les jeunes captés et enjoués avec Stéphane Ethève au stage pilote de Narbonne en mai 2022
Pour ma part j’ai repris la Commission jeunes après la démission de Dany Socirat (elle ne pouvait plus être élue fédérale et cadre technique professionnelle) et j’ai rempilé pour les olympiades 2016-2020 et 2020-2024. Il faut souligner que la politique proposée par le Président fédéral soutient et privilégie ce public spécifique en évolution. La Commission fédérale actuelle, très dynamique et productive, est composée d’une dizaine de personnes impliquées et disponibles, des élus et cadres techniques passionnés issus de Métropole et des DOM ROM, qu’on ne peut citer en totalité mais qui se reconnaîtront et que je salue très amicalement, comme Laurence Chedorge présidente de la Ligue Pays de Loire, ou Stéphane Éthève, DFR de la Réunion et membre de l’Institut fédéral ; cette commission a pour mission de promouvoir l’enseignement et le développement de l‘aïkido en direction d’un public de jeunes finalement très hétérogène ; elle aborde par groupes de travail des problématiques et dossiers divers liés aux diverses tranches d’âges des jeunes (ciblés de 2 à 25 ans) et propose régulièrement au Comité directeur ou à l’AG fédérale les résultats de ses travaux, parmi lesquels par exemple un dossier très complet, boite à outils pour les clubs (comment contacter des partenaires institutionnels, monter des projets innovants, etc.), préconise des recommandations fédérales sur l’enseignement concernant par exemple les cours baby à mieux cadrer (horaire limité, contenu adapté de motricité, assistant nécessaire, comportement rigoureux, gestes à respecter), expérimente des contenus spécifiques, des appariements de clubs entre Métropole et DOM-ROM, impulse des avancées sur le BF mention jeunes ou l’AFAC ( cf site fédéral onglet formation institut ). La Commission très active est force de proposition.
Stage national jeunes à Narbonne en mai 2023 avec, autour du président fédéral Francisco Dias et de l’animateur Fabrice De Ré, les membres de la commission jeunes : Suzy Dufrenot, Monique Girardoz, Pascal Marcias, Marc Tabourot, François Bousquet, Béatrice Navarro, Pierre Marcon, Ray Dufrenot. (Laurence Chedorges, Stéphane Éthève et Patrick Fillion n’avaient pu se déplacer.)
Il y a aussi des vidéos de quelques minutes, mises en ligne régulièrement, créées par exemple avec le groupe jeunes de l’IAF par nos deux ambassadeurs de la FFAAA Monique Girardoz (Ligue ARA) et Ray Dufrenot (Ligue Guyane), des stages nationaux pour jeunes et enseignant-e- s jeunes : après Vichy, rendu indisponible, Narbonne a pris le relais avec un stage pilote jeunes dirigé par Stéphane Éthève en mai 2022 et cette année stage national avec Fabrice De Ré ; des stages internationaux mettent en lumière nos jeunes qui représentent la FFAAA, pour citer les deux derniers : délégation d’ados (12-18 ans) à Papendal pour l’IAF en juillet 2022, délégation de jeunes adultes (18-25 ans) à All Japan en mai 2023 avec Hélène Doué.
Le prochain stage national jeunes aura lieu les 19-20 mai 2024 à Nantes pour la Métropole avec Fabrice De Ré, qui sort un ouvrage spécifique avec la participation de la FFAAA, et un stage spécial ultramarins sera proposé en Martinique avec un expert ultramarin ; de même aussi un stage international à Cranves-Sales (Haute-Savoie) et un autre en Amazonie avec l’Amérique centrale, impulsés par nos deux ambassadeurs jeunes FFAAA à l’IAF Monique Girardoz et Ray Dufrenot. Les projets fusent partout : nos Ligues et CID ne sont pas en reste dans leurs calendriers qui incluent avec bonheur des stages pour les publics jeunes, et l’expertise pour les jeunes se développe. Jusqu’en Nouvelle-Calédonie, comptant trois clubs dont un avec une toute nouvelle section jeunes, et qui mutualise ses stages avec la FFAB pour développer cet enseignement prometteur sur son territoire. La Fédération, agréée par le ministère des sports, est très attentive à cet enseignement spécifique et à sa promotion, pour lequel on doit être diplômé et formé : fini le temps où l’on confiait les cours enfants aux volontaires souvent sans grande expérience ni grades, et qui peinaient à bâtir des cours attractifs en l’absence de ressources accessibles et de formation nationale
Délégation FFAAA des jeunes ados au stage international de l’IAF à Papendal en juillet 2022
Délégation FFAAA des jeunes adultes à la All Japan Aikido en mai 2023
Tout évolue très vite et aujourd’hui, « les jeunes » c’est surtout une grosse part d’effectifs hétérogènes : des sections de tout-petits 3/4 ans dans certains clubs avec de l’éveil et de la motricité, des enfants de 6/12 ans qui maîtrisent la latéralité et apprécient la non-compétition, des ados de 13/16 ans en pleine croissance qui hésitent entre cours jeunes ou adultes, des grands ados jusqu’à 18 ans qui aiment bouger et se défouler, et des jeunes adultes jusqu’à 25 ans qui passent leurs grades sans complexes avec les « vieux ». On peut d’ailleurs passer le shodan dès 15 ans et nos jeunes se présentent. Or la licence jeune à la FFAAA, c’est jusqu’à 13 ans : pourtant la lecture des effectifs est éloquente, alors qui donc parle d’un public timide ? Car les moins de 15 ans représentent 33,63% des effectifs de la FFAAA, tandis que l’ensemble des moins de 25 ans représentent 41,65%, avec une progression régulière de 8.83%. malgré une période sanitaire difficile. Regardez dans les clubs, où la plupart ont compris qu’une section jeunes est un vivier et équilibre les ressources. Beaucoup de jeunes se sont inscrits dans les clubs après l’effet Covid, en manque d’activité et avides de pratique en présentiel.
Jusqu’à quel âge est-on jeune en aïkido ? en Aikido on reste jeune de corps et d’esprit, ce n’est pas juste une question d’état civil, mais d’état tout court, tant que l’on peut s’émerveiller des choses de la vie et du tatami et qu’on sent le ki qui se dégage d’une bonne pratique entre personnes aimant projeter, immobiliser, chuter (ou pas) mais toujours dans le respect mutuel. D’ailleurs les stages intergénérationnels ont le vent en poupe, et voir pratiquer ensemble des personnes très différentes avec respect est un exemple à suivre.
Pratique commune lors du stage du Codep11, Noël 2015 à Carcassonne
Quels conseils donnerais-tu à un club qui souhaite attirer des jeunes ? Si parfois les jeunes viennent par hasard ou opportunité (horaire, tarif, proximité, pub, réseaux sociaux, commodité pour les parents) et peuvent repartir comme ils sont venus vers d’autres activités, ils restent finalement par goût véritable, et il ne faut pas hésiter à leur demander ce qu’ils apprécient : car ils trouvent dans un club d’aiki un vrai réseau social au sens fort du terme, qui les met en valeur, avec de vraies gens qui ont des valeurs véritables, où l’on s’occupe d’eux avec bienveillance, sans pression du résultat ni de la performance à tout prix, et où ils échangent, apprennent et progressent à leur rythme. Car chaque enfant, ado, jeune, apprend toujours quelque chose de la technique, de soi-même et des autres : être capable de se maîtriser, être capable de vaincre sa timidité ou son exubérance, être capable de montrer quelque chose devant tout le monde, être capable de compter en japonais, être capable de faire un ukemi, être capable d’exécuter un Ikkyo omote ou ura, être capable de pratiquer avec plus grand ou plus âgé (ou l’inverse), etc. Toutes les capacités sont déclinables et adaptables, et il est très important de les mettre en valeur pour une pédagogie positive. C’est valable aussi pour les adultes !…
Un club qui souhaite attirer les jeunes doit les mettre en avant déjà dans ses plaquettes de promo, dans ses démos, qu’elles soient publiques ou internes et les laisser s’exprimer en paroles et en actes : les mots et les images des jeunes sont les meilleurs agents de promotion pour les jeunes. Pour faire la promo du latin, je laisse parler les latinistes qui font un carton auprès de leurs camarades ; pour la section jeunes de l’Aïki, je prends les jeunes qui vont vers d’autres jeunes, argumentent et parlent la même langue. Et ça marche. Il faut aller vers ces publics et les solliciter sur toutes les occasions possibles au lieu d’attendre qu’ils arrivent seuls par hasard. Y compris sur des manifestations culturelles telles que la Japan expo, ou autres.
Par ailleurs les jeunes ont des parents avec lesquels il faut prendre contact étroitement (et leur apprendre les règles…), qu’il faut associer aux événements réguliers du club, ponctués par les vacances et les différentes opportunités, où tout est bon pour montrer et communiquer les progrès des jeunes, même infimes : cérémonies de remises de ceintures, pratique commune enfants-parents, goûters divers, participation aux stages avec covoiturage, sorties de découverte, activités culturelles complémentaires, petites vidéos et photos régulières alimentant le site média du club indispensable (avec document d’accord préalable de diffusion pour la promotion de l’aïkido).
Toujours pratiquer dans la joie avec nos jeunes : un club heureux !
Et aussi bien sûr prendre conscience que l’enseignement aux jeunes est un enseignement spécifique, pour un public qui certes peut être difficile et turbulent (c’est le lot actuel de l’enseignement) et qui demande de l’expérience et une pédagogie adaptée, au-delà du simple savoir technique pourtant nécessaire. On ne montre pas et on ne parle pas aux jeunes comme aux adultes : comme pour tout enseignement, faire passer des connaissances exige un savoir- faire et des comportements particuliers, une communication et des éléments de langage adaptés, une approche ludique et progressive. Et en plus de la formation initiale, une formation continue où l’on a tout à apprendre ou à compléter par échanges/apports mutuels. Pas question de laisser une section jeunes à une personne gradée mais inexpérimentée et sans formation : notre fédération agréé exige des enseignants diplômés, irréprochables moralement (d’où la nécessité absolue de compléter les infos des cadres techniques sur l’Extranet du club) ; les stages de formation, les échanges sont essentiels alors que le temps n’est pas si loin où les ressources étaient limitées voire inexistantes pour organiser des cours enfants…
Depuis ses débuts, soit une trentaine d’années, l’enseignement pour les jeunes s’est fortement développé et structuré, au national et à l’international. Nos cadres œuvrent à le structurer davantage car la Fédération aime ses jeunes ! Enfin, si l’on veut croire que les jeunes sont notre avenir, on peut déjà affirmer objectivement qu’ils sont notre actualité car base essentielle de nos licences et ADN de nos clubs. Tous les progrès sont à venir et nous y travaillons ensemble.
Merci Yéza pour cette opportunité précieuse de m’exprimer sincèrement et avec des éclairages précis.
Narbonne 2023 donne RDV à Nantes en mai 2024 !